Critique de disque. D’emblée, on est saisi par la force de « Tive Razao », le titre qui ouvre ce disque Cru. Tendue et tendre, diaboliquement rythmée, dotée d’une superbe mélodie interprétée par une voix rocailleuse et légère, cette chanson d’amour malheureux s’avère être un classique. Instantanément. Elle est l’œuvre de Seu Jorge, un carioca issu des favelas dont l’histoire est peu banale. Zonant dans les rues de sa ville durant ses jeunes années, il rencontre des musiciens, des gens de théâtre et de cinéma. Gratifié d’une forte personnalité, Jorge Mario da Silva est alors affublé de son actuel pseudonyme, Seu Jorge, autrement dit M’sieur Jorge. Dans les années 1990, il est un membre fondateur de Farofa Carioca, groupe qui propose un mélange de samba traditionnelle et de pop au cours de spectacles mixant musique, théâtre et cirque. Il poursuit ensuite sa route en pratiquant le hip hop au sein de Planet Hemp, puis se lance en solo. Parallèlement, ou plutôt en même temps, il joue au cinéma, dans des comédies musicales, notamment. Voila donc un parcours qui permet d’écrire des chansons de caractère comme ce « Tive Razao » susnommé. Mais on s’inquiète : ce qui suit sur l’album va-t-il être à la hauteur d’un tel coup d’éclat ?
Ça l’est, heureusement pour Seu Jorge… et pour nous, par la même occasion ! Ce n’est que ballades génialement faites de riens, dominées tantôt par la guitare acoustique, tantôt par cet instrument modeste qu’est le cavaquinho – petite six cordes typiquement brésilienne, au son acidulé et joyeux. Il y a aussi des percussions et un peu de synthé, ce dernier étant utilisé avec parcimonie. Qu’il s’agisse de chansons signées par Seu Jorge lui-même, ou de reprises – certaines sont très surprenantes, telles que « Chatterton » de Serge Gainsbourg et « Don’t » de Leiber et Stoller, adopté en son temps par Elvis Presley -, tout cela sonne très frais. Enregistré à Rio par une équipe française, cet album agit comme un révélateur. Impossible après l’avoir écouté de ne pas inscrire le nom de Seu Jorge dans la liste des – très nombreux – artistes brésiliens qui comptent.
Michel Doussot
Mis en ligne le 5 octobre 2004 sur routard.com
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