Interview. Dans les années 1970, Alan Stivell a contribué avec éclat à la redécouverte des musiques traditionnelles de Bretagne en les mélangeant au rock. Pinçant avec toujours autant de grâce les cordes de sa harpe celtique, il livre un nouvel album aux sonorités électroniques intitulé Explore. L’occasion est excellente de le rencontrer pour discuter avec lui de musique, de voyage et, ô surprise, de la Bretagne.
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Sa musique
Explore a été en grande partie conçu avec des machines électroniques…
J’ai toujours été attiré par les évolutions technologiques en matière musicale. Là, j’emploie beaucoup de machines et ça intrigue, car quand on parle de moi, on évoque surtout les racines des musiques celtiques et mes harpes en oubliant cet aspect de mon travail.
Cet album sonne très urbain…
Une fois de plus, cela peut surprendre parce que le thème de la celtitude est associé à des paysages de crépuscule sur des collines ou sur la mer. Ce que je ne refuse pas, car ça m’attire aussi, mais ma vie réelle se passe beaucoup en ville, à Rennes, Brest, Paris ou New York. Comme je veux rester sincère, c’est donc cet aspect-là qui l’emporte.
Dès vos débuts…
Oui, j’ai mis de l’électricité dans la musique bretonne. L’important, ce n’est pas les outils que l’on utilise, mais ce que l’on en fait. Un musicien est toujours avide d’utiliser de nouvelles couleurs.
Vous avez incarné en France et en Europe un retour aux traditions locales et une modernisation de ces dernières…
Pour moi, les termes « tradition » et « local » sont contradictoires. Le temps et l’espace sont deux dimensions différentes. Une culture, une langue, une musique, n’a pas à être attachée à une époque particulière. Pendant longtemps, peut-être en a-t-on fini aujourd’hui, une danse bretonne possédait un charme suranné. Ma démarche a toujours été à l’opposé de ça. Je dis que les formes culturelles sont évolutives. Dès mes débuts, l’idée était d’élaborer une musique bretonne du futur en y intégrant de nombreuses influences « extérieures ». Explore s’est fait dans la spontanéité, dans l’improvisation. Je me suis laissé porter par des notes qui m’ont conduit en Amérique du Sud, en Extrême-Orient, en Afrique, en Jamaïque… Sans que je sache pourquoi. Tout ce dont je me suis nourri durant ma vie est ressorti dans cet album.
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Ses voyages
Voyagez-vous beaucoup ?
Pas mal, aussi bien pour le travail que pour mon plaisir. Je suis allé sur tous les continents, mais il me reste un certain nombre d’endroits à découvrir. Je reçois des courriers d’Amérique du Sud et de Russie, par exemple, où mes disques sont écoutés. J’irai certainement là-bas, un jour ou l’autre.
Que faites-vous en premier quand vous arrivez quelque part ?
Après avoir effectué un long voyage, il n’y a rien de plus agréable que de poser ses bagages dans un lieu qui vous convient et de ressortir immédiatement. Cela procure un sentiment de liberté formidable. Et de sécurité aussi. Je suis assez émotif et je ressens toujours une certaine anxiété en voyage tant que je ne suis pas arrivé à destination, quelque soit le mode de transport. J’ai par exemple toujours peur de perdre mes papiers, de les oublier par exemple sur un guichet. Il faut dire que cela m’est déjà arrivé ! Le voyage est pour moi un mélange de plaisir et de stress. Donc quand j’arrive, c’est le paradis, surtout si les rues sont animées.
Quelle est votre manière de découvrir une ville ?
J’apprécie les contacts très rapides. On peut sentir beaucoup de choses de cette façon. Ou se tromper aussi, certainement ! (rires). Je marche dans les rues pour percevoir l’atmosphère du pays, de la ville. J’observe les gens, l’architecture… Bref, j’essaie de m’imprégner au maximum, car j’ai envie d’en savoir le plus possible sur les gens, surtout si je m’apprête à m’adresser à eux lors d’un concert. Cela ne va pas changer fondamentalement le déroulement de ce dernier, mais au moins ça me permettra d’échanger un peu avec eux. Je m’intéresse à la culture locale, y compris au niveau linguistique. À une époque, j’étais très pointilleux sur la question. Je voulais absolument savoir comment dire au moins des choses simples dans la langue ou le dialecte du coin. Cela me permettait de faire mon de Gaulle sur scène ! Ce n’était pas démagogique, c’était pour faire plaisir aux gens. Cela me paraît tout à fait normal. C’est mieux que de balancer quelques mots stéréotypés en anglais à la foule. Mais ça prend du temps de s’intéresser ainsi à cet aspect des choses. D’ailleurs, il m’est arrivé d’en manquer pour accorder ma harpe. Cela frisait le masochisme.
Organisez-vous consciencieusement vos déplacements ?
Ce qui me plait, c’est de me fier à mes intuitions, de faire jouer le hasard, de laisser venir la rencontre, d’avoir la surprise de découvrir un lieu… Cela dit, au Mexique, je me suis quand même organisé car je voulais visiter des cités anciennes, mayas ou autres. Enfin, c’est ma femme qui s’est chargée de consulter les guides pendant que je m’occupais du concert. Une autre fois en Irlande, j’ai profité d’un récital pour aller visiter le nord-ouest, une région que je ne connaissais pas encore. Là, tout bêtement, nous sommes allés à l’office de tourisme (rires).
Quel est votre plus beau souvenir de voyage ?
Il y en a beaucoup. Le Sénégal où j’ai retrouvé Youssou n’Dour, des tournées en Australie, un périple en Galice après avoir enregistré un disque avec Carlos Núñez… Et puis je me souviens d’un voyage plutôt simple, mais qui m’a beaucoup ému. Après un concert donné à Glasgow, nous avons loué une voiture et nous sommes partis à l’aventure. J’adore l’Écosse. À chaque fois que je le peux, j’y vais. Nous avons traversé au hasard les espaces quasi déserts des Highlands jusqu’à l’île de Skye où, dans un petit port, nous avons logé dans un super hôtel. J’ai retrouvé là le College of Piping, l’école où j’avais appris à jouer de la cornemuse étant ado. Vous voyez, ce n’était pas une grande expédition. En tout cas, cela m’a profondément remué.
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Sa Bretagne
Quels sont vos lieux préférés en Bretagne ?
Là où je me sens vraiment bien c’est à Carnac et à La Trinité-sur-Mer. C’est un coin de Bretagne qui me détend beaucoup. J’en ai besoin car je suis quelqu’un d’anxieux. Mais j’ai aussi une attirance pour des endroits susceptibles de me secouer.
Lesquels ?
Le grand nord-ouest de la Bretagne, qui va du sud Finistère jusqu’à Saint-Malo en suivant la côte. Du point de vue culturel, je suis très attiré par Paimpol. Là, on est dans une Bretagne très celtique. Ce que j’aime dans ce nord-ouest, et en gros dans toute la Basse Bretagne, c’est qu’il y a une harmonie entre les paysages et les constructions. Même les maisons les plus moches parviennent à s’y insérer. Les lois, qui sont peut-être à discuter, imposent des règles de construction contraignantes. On doit utiliser des ardoises, user de certaines couleurs, etc. En Haute Bretagne, je trouve que c’est moins coordonné. C’est d’ailleurs un reproche que je pourrais faire à l’ensemble des pays celtiques où les règles de construction édictées depuis environ cent ans font que les maisons se construisent dans une liberté totale. La liberté c’est bien, mais là, on en voit les effets pervers. J’adore l’Irlande, l’Écosse et le Pays de Galles, mais j’y ressens une fatigue visuelle parce que ça discorde beaucoup. Quand on est musicien, on aime que les choses soient harmonieuses. On a le droit de choquer, mais ce doit être voulu. Or là, c’est involontaire. Une maison va être de style londonien, l’autre d’allure américaine, etc.
Avez-vous d’autres lieux de prédilection ?
J’aime assez le passage par les belles forêts de Brocéliande quand on prend la direction de l’Ouest. On parvient comme ça au lac de Guerlédan, puis aux monts d’Arrée. Les gens des Alpes ou des Pyrénées ont du mal à ne pas rigoler quand on parle de montagne à leur sujet. Or, on est obligé d’admettre que c’est là que se trouvent les points culminants de la Bretagne (rires) ! On y a quand même la sensation de la hauteur, avec tous ces vents qui s’y croisent et qui vous fouettent. C’est sauvage, étrange, on se croirait dans une BD fantastique. Une fois qu’on les a traversées, quel contraste ! On se retrouve dans des paysages faits de champs, de pâturages, il y a des maisons partout…
Et les côtes ?
Sur les côtes, la mer est très forte, les vents vous secouent et vous donnent une belle énergie. Musicalement, cela inspire beaucoup. Dans un style très différent, il y a le sud de la Loire Atlantique, des endroits comme Préfailles, Pornic, Sainte-Marie-sur-Mer. Voilà des paysages étonnants, qui ont l’air d’avoir été enfantés par la Bretagne et la Méditerranée. On se demande où on est sur le plan géographique, mais aussi sur le plan temporel. Préfailles, où j’ai enregistré un album, est une station qui a gardé un caractère typique des années 1920. C’est extraordinaire. Trop souvent, y compris en Basse Bretagne, on a tendance à changer la déco tous les 10 ans dans les bars et les restos. Pas là. Puisque l’on est dans le sud, je pense à Clisson, qui se situe à la limite de la Bretagne. C’est une ville dont l’architecture est à l’italienne. On a l’impression d’être dans une petite Rome avec ces collines qui entourent la ville.
Y a-t-il une période de l’année particulièrement propice à la découverte de la Bretagne ?
Les plus belles saisons sont le printemps et l’automne. Je dirais même plutôt le printemps. L’optimisme revient, la nature est en gestation, rien n’est encore vraiment mûr… Il est alors plus facile d’avoir de beaux rayons de soleil qu’en automne (rires). Pour être précis, je dirais que la meilleure période pour apprécier la région se situe entre la fin mai et la fin juin.
Vous disiez apprécier grandement Carnac. Êtes-vous particulièrement fasciné par les menhirs ?
C’est plutôt Gavrinis, dans le Golfe du Morbihan, qui me fascine et cela depuis toujours. Il y a ce tumulus avec ses gravures en formes d’empreintes digitales, de courbes… Cela ne ressemble à rien, sauf peut-être un peu à ce que l’on voit sur le site de Newgrange en Irlande. C’est fascinant ce mystère. Le monde celtique doit beaucoup à l’époque mégalithique.
On s’imagine que vous connaissez la Bretagne par cœur…
Je n’ai pas tout vu, heureusement d’ailleurs, sinon ça serait triste (rires). Il y a des endroits qu’il me tarde de découvrir. Comme le cairn de Barnenez, un tumulus restauré, une sorte de pré-pyramide élevée voilà plusieurs milliers d’années.
La scène musicale est très vivante en Bretagne. Allez-vous souvent écouter vos collègues en concert ?
Mes activités m’en laissent peu le temps. Mais quand je ne suis pas loin, je ne manque pas certains événements comme les Trans Musicales de Rennes. Cela m’arrive de me rendre au Yaouank, un fest-noz géant qui se déroule aussi à Rennes. Et sinon, je vais au festival Interceltique, même quand je n’y joue pas. J’aime aussi me retrouver dans les concours auxquels j’ai participé dans le temps : le championnat des sonneurs par couple de Gourin, ou le championnat national des bagadou de Lorient. Après, il y a des endroits où je n’ai pas encore réussi à aller, comme les journées de danse fisel à Rostrenen et celles qui sont consacrées à la danse plinn à Bourbriac. Mais je conseille ces rendez-vous aux gens parce que ce sont les musiques des pays Fisel et Plinn qui, en Bretagne, m’attirent le plus par leur côté tribal, rock’n’roll.
Que pensez-vous de l’évolution de la scène musicale celtique ?
Les mélanges que je souhaitais se sont réalisés. Je souffrais à une époque du manque d’ouverture des uns envers les autres. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des Africains jouer du djembé dans un fest-noz. Certains ont encore peur que cela tourne en une grosse mayonnaise sans saveur. Je ne pense pas. La musique se conçoit avec ce que l’on a en soi. Ce que l’on appelle musique bretonne s’est fait avec des éléments venus d’ailleurs. Plus il y a d’ingrédients mieux c’est. Je suis pour un monde sans frontière dans lequel la diversité continue d’exister. La musique enseigne de ne pas avoir de préjugés.
Propos recueillis par Michel Doussot
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Quelques sites à voir
recommandés par Alan Stivell
Côtes d’Armor (22)
- Lac de Guerledan
Finistère (29)
- Aber Benoît
- Aber Wrac’h
- La montagne Saint-Michel / Menez Mikael, les lac et marais de Yeun-Elez dans les Monts d’Arrée
- Menez Hom
- Locronan
- La Pointe de Crozon
- La cathédrale Saint-Corentin à Quimper / Kemper
Loire Atlantique (44)
- Brière
- Clisson
- Le lac de Grandlieu
Morbihan (56)
- Gavrinis
- Le château de Tronjoly à Gourin
- Le château de Comper à Paimpont
- Les chapiteaux de l’église paroissiale de Langonnet / Langonned
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Les bonnes adresses d’Alan Stivell
pour boire, manger et se loger
Alan Stivell s’excuse auprès de tous ceux qu’il a omis de citer. Liste datant de 2006.
Côtes d’Armor (22)
À Saint-Brieuc / Sant Brieg :
- Bar Memestra. 4, rue de Quintin. Tél. 02 96 33 77 28.
À Saint-Quay-Portrieux :
- Hôtel Ker Moor. 13, rue Président Le Sénécal. Tél. 02 96 70 52 22.
Finistère (29)
À Brennilis :
- Auberge-Expo du Youdig. Tél. 02 98 99 62 36.
À Brest :
- Restaurant cabaret Le Vauban, 17, avenue Georges Clemenceau. Tél. 02 98 46 06 88.
À Carhaix / Karaez :
- Hôtel Noz Vat. 12, boulevard de la République. Tél. 02 98 99 12 12.
- Restaurant Le Carrick. 18, rue Brizeux. Tél. 02 98 99 45 69.
À Quimper / Kemper :
- Café de l’Épée. 14, rue du Parc. Tél. 02 98 95 28 97.
- Le Restau à Vins. 3, place du Styvel. Tél. 02 98 52 15 52.
- Restaurant Charly’s Tex-Mex. 46, rue Aristide Briand. Tél. 02 98 53 35 50.
Ille-et-Vilaine (35)
À Rennes / Roazhon :
- Bar Elsa Popping, 19, rue Poullain Duparc. Tél. 02 99 78 31 71.
- Laz Taverne Grecque, 1, rue des Dames. Tél. 02 99 31 63 31.
- Restaurant Piccadilly. 15, place de la Mairie. Tél. 02 99 78 17 17.
- Restaurant Le Kozac. 3, rue d’Argentré. Tél. 02 99 79 18 66.
- Restaurant Léon le Cochon, 1, rue du Maréchal Joffre. Tél. 02 99 79 37 54.
- Restaurant Le Galopin. 23, avenue Janvier. Tél. 02 99 31 55 96.
- Restaurant Chouin. 12, rue d’Isly. Tél. 02 99 30 87 86.
À Saint-Malo :
- Brasserie du Sillon. 3, chaussée du Sillon. Tél. 02 99 56 10 74.
Loire Atlantique (44)
À La Haye Fouassière :
- Restaurant Jean de la Queue. 7 impasse Tournebride. Tél. 02 40 54 80 28.
À Nantes / An Naoned :
- Restaurant La Cigale. 4, place Graslin. Tél. 02 51 84 94 94.
À La Plaine-sur-Mer :
- Hôtel Restaurant Anne de Bretagne. Port de la Gravette. Tél. 02 40 21 54 72.
À Pornic :
- Hôtel Le Relais Saint-Gilles. 7, rue Fernand de Mun. Tél. 02 40 82 02 25.
À Préfailles :
- Hôtel Restaurant Le Saint-Paul. Avenue de la Plage. Tél. 02 40 21 68 98.
À Vertou :
- Restaurant L’Écluse, 9, quai Chaussée des Moines. Tél. 02 40 34 40 70.
Morbihan (56)
À Carnac / Karnag :
- Bar La Baignoire de Joséphine. 16, allée des Alignements. Tél. 02 97 52 88 95.
- Bar Le Latino, 62, avenue des Druides. Tél. 02 97 52 22 38.
- Bar La Belle Époque. 43, avenue Port en Drô. Tél. 02 97 52 90 47.
- Crêperie La Thalasso. 1, place de Port en Drô. Tél. 02 97 52 22 88.
- Crêperie Saint-Georges. 8, allée du Parc. Tél. 02 97 52 18 34.
- Hôtel Celtique – Restaurant An Daol, 82, avenue des Druides. Tél. 02 97 52 14 15.
- Restaurant Le Calypso. 158, rue du Pô. Tél. 02 97 52 06 14.
- Restaurant Le Petit Bedon. 106, avenue des Druides. Tél. 02 97 52 11 62.
- West Pub Company. 14, allée des Menhirs. Tél. 02 97 52 90 80.
- Ostréiculteur Alain Stephan. 127, rue du Pô. Tél. 02 97 52 08 36.
À Gourin :
- Restaurant Chez Loeiz. 41, rue Jacques Rodallec. Tél. 02 97 23 41 27.
À Vannes / Gwened :
- Restaurant Le Roof. Presqu’Île de Conleau. Tél. 02 97 63 47 47.
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Quelques fêtes et festivals
Alan Stivell s’excuse auprès de tous ceux qu’il a omis de citer. Liste datant de 2006.
- Festival Interceltique de Lorient, en août à Lorient (56). http://www.festival-interceltique.com
- Festival Fisel, en août à Rostrenen (22). http://www.fisel.org
- Festival Plinn du Danouet, en août à Bourbriac (22). http://danouet.free.fr
- Championnat de Bretagne des Sonneurs par couple, en septembre à Gourin (56). http://www.gourin.com/championnat-de-bretagne
- Festival Yaouank, en novembre à Rennes (35). http://www.skeudenn.org
- Festival Les Trans Musicales, en décembre à Rennes (35). http://www.lestrans.com
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Le site de Alan Stivell : http://www.alan-stivell.com
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Mis en ligne en 2006 sur routard.com
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