Interview. Magazine d’information hors norme Strip-tease est né en Belgique voilà neuf ans et vient d’entamer sa troisième saison sur France 3. Chaque mois il propose quatre reportages réalisés suivant ce précepte : « La banalité des uns titille la curiosité des autres. » Rencontre avec Marco Lamensch, un de ses créateurs – l’autre étant Jean Libon -, ainsi qu’avec le journaliste Pierre Carles, contributeur régulier de l’émission.
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Un patron arabe dévoué à sa tâche, un producteur de films porno tyrannique, un couple modeste qui court les supermarchés afin d’alimenter ses deux grands congélateurs, un beau et jeune berger qui veut devenir mannequin « à tout prix »… Le miracle s’est de nouveau accompli : on vient de regarder pendant une heure un nouveau numéro de Strip-tease et on n’a pas vu le temps passer. Ces quatre histoires n’ont a priori l’air de rien : on est loin, très loin des grands sujets proposés par les magazines d’information traditionnels. Trop discrètement programmé par France 3, la version française de Strip-tease – qui comporte trois sujets français sur quatre – a pourtant acquis une grande réputation, malgré ou plutôt grâce à sa modestie.
Il était une fois deux journalistes belges qui, après avoir travaillé ensemble pendant huit ans sur tous les points chauds de la planète, sentirent monter en eux un sentiment d’insatisfaction. Un jour, Jean Libon et Marco Lamensch proposent à leur chaîne, la RTBF, de faire de « la vraie télévision, c’est-à-dire de l’image qui parle. » Leur objectif est de réaliser de courts reportages sans commentaire qui raconteraient la vie de « l’homme de la rue ». Une ambition aussi ancienne que le métier de journaliste. « En une heure, explique Marco Lamensch, il faut une matière extraordinaire pour que l’on puisse raconter une vraie histoire. » En conséquence, ils choisissent de modeler leurs sujets sur une durée d’environ treize minutes : « Ce qui oblige à réfléchir très fort en termes de réalisation. » Rapidement, les deux journalistes réunissent une poignée de confrères qui, comme eux, souhaitent « aller moins loin mais mieux. »
Diffusé en début de soirée en Belgique, Strip-tease fait jeu égal en terme d’audience avec des matchs de foot. « Nous avons conçu l’émission avec l’ambition qu’elle soit appréciée par tout le monde mais sans racolage. Peu à peu, nous avons « formé » le public belge. À tel point que nous n’osons pas encore passer certaines séquences en France, comme celle qui montre un couple bourgeois devisant en faisant la vaisselle. » Une audace comme Strip-tease s’en permet souvent. Ici, on pense au fameux film de Chantal Akerman – Belge elle aussi – dans lequel Jeanne Dielman (Delphine Seyrig) vaquait à ses tâches ménagères en temps réel. Cette « implication dans le social », Marco Lamensch la revendique, tout comme la lenteur et la longueur de certaines séquences – « À condition qu’il ne s’agisse pas d’une échappatoire due à un manque de rigueur, que ce soit fait sans souci d’esthétisme appuyé. » Pas de chichis donc, et surtout pas de sujets anecdotiques ou sensationnalistes : « Toutes les semaines, on nous propose un sujet sur tel ou tel collectionneur ou sur un travesti. Nous les refusons. »
Filmer la vie de tous les jours, ses difficultés comme ses joies, n’est pas simple si l’on en juge par le processus de création imposé par les pères de Strip-tease. Le journaliste candidat expose d’abord son idée aux deux producteurs au cours d’une longue conversation. S’il les a convaincus, il est envoyé avec une caméra amateur chez les gens qu’il souhaite filmer. Deux solutions s’offrent à lui. Il revient avec une interview classique : gare à lui. Il rapporte des images dans lesquelles on sent le réel surgir : la partie est alors bien engagée. Pour sauvegarder l’esprit maison, l’équipe de tournage comprend toujours un initié, ce qui permet à Strip-tease de garder une unité de ton malgré les différentes histoires racontées. Trouver un bon sujet demande parfois beaucoup de temps. Ainsi un reporter chargé de réaliser une séquence sur le thème du baccalauréat a-t-il dû arpenter la France pendant quatre semaines avant de découvrir ses « héros » à Longwy : des parents effrayés par l’éventuel échec de leur enfant. D’autres fois, le journaliste filme tout simplement ses voisins, comme ce chérubin de six ans s’occupant seul du ménage quand son père est au travail.
Beaucoup d’histoires racontées par Strip-tease provoquent le rire : cela ne risque-t-il pas de donner une image ridicule de ces gens qui ont accepté qu’on filme leur vie privée ? « Vous savez, répond Marco Lamensch, si on me filmait chez moi, on trouverait matière à rire. Si l’on rit c’est, je pense, sans complaisance ni méchanceté. Je ne vois pas pourquoi l’humour devrait être absent de l’information. Nous gagnons la confiance des gens que nous filmons et j’espère que nous ne la trahissons pas. Souvent, le tournage est comme une bulle dans leur vie : pendant huit jours, ils vivent avec des personnes qui leur parlent d’autres choses que leur quotidien. Nous ne sommes pas des cosaques de l’information. Le contact est d’ailleurs souvent gardé. Mais pas avec tout le monde. Nous sommes par exemple très fâchés avec une famille d’antisémites…»
Pierre Carles, l’un des journalistes de l’équipe française pratique la manière Strip-tease depuis deux ans : « Ce qu’il faut éviter, c’est que la présence de la caméra suscite des actes. Les reportages que l’on voit à la télévision sont souvent mis en scène par les reporters. Ou bien par les gens eux-mêmes, sans qu’on le leur demande. La troisième voie choisie par l’émission est de faire en sorte que l’équipe de tournage fasse partie du décor. » Quand un reporter « normal » arrive sur le lieu de tournage, « il fera tout pour arriver à faire en sorte que son reportage colle avec son projet. La chance que l’on a avec Strip-tease est de pouvoir changer d’idée. C’est une émission qui permet de développer une écriture personnelle grâce à des images et des sons. En dehors de cette émission, et quelque fois de 24 heures sur Canal +, la vraie vie n’apparaît jamais à la télé. » Ce journaliste que l’on sait exigeant émet cependant quelques réserves sur le fond : « Filmer l’intimité des gens me dérange. On utilise leur vie pour en faire un scénario. Si on était cohérent, on devrait les payer. On ne se contenterait pas d’être des prédateurs. Cela dit, je pense surtout à des magazines comme 52 sur la Une qui sont faits pour générer de la pub. Ce qui n’est pas le cas de Strip-tease. » Pierre Carles préfère donc tourner dans les milieux de l’entreprise ou de la politique, là on cultive une image publique : « Les gens y sont puissants, ils ont les moyens de se défendre. »
On le voit, même lorsqu’une émission tente de se pencher avec une extrême honnêteté sur la vie de ses contemporains, elle soulève malgré tout de nombreuses questions fondamentales. Pourquoi des personnes se laissent-elles « voler » un morceau de leur identité ? Qu’est-ce qui en pousse d’autres à s’immiscer dans leur vie ? Et qu’en tirons-nous en tant que spectateurs ? Petit bonheur mensuel, chaque numéro de Strip-tease permet de réfléchir à tout cela.
Michel Doussot
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Parution dans le magazine Téléscope.
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