Critique de film. Comment, pour avoir refusé de porter un pantalon taché de sang, un fantassin de la Grande Guerre est fusillé « pour l’exemple » en 1915. C’est l’histoire vraie et atroce que raconte le cinéaste Yves Boisset dans Le Pantalon.
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Quand le sergent fourrier, chargé de délivrer à chaque nouvelle recrue son paquetage, donne un pantalon blanc à Lucien Bersot au lieu d’un rouge – couleur réglementaire -, il ne sait pas que ce geste va avoir de lourdes conséquences. L’histoire du Pantalon est authentique. Pour la raconter, Yves Boisset s’appuie sur l’enquête d’Alain Scoff, qui signe le scénario, mais aussi, le fait est à noter, sur les conseils de deux représentants du Ministère de la Défense. L’auteur de R.A.S. (1973), Allons z’enfants (1981) et de L’Affaire Dreyfus (1995) poursuit dans sa veine militaire, peut-être la plus forte de son œuvre. Il y réussit des moments de vérité inoubliables. Ici, il est aidé pour cela par Wadeck Stanczak qui joue Lucien Bersot en finesse, un chic type broyé par un système qui le dépasse, l’un de ces vaillants soldats des années 1914 et 1915 qui ont cru que la guerre allait durer peu de temps.
En 1915, le front ouest est bloqué sur 560 km de tranchées, personne ne sait comment finir la guerre. Pour servir la stratégie de son général, la 8e compagnie du 60e d’infanterie monte inlassablement à l’assaut d’une colline. Une manœuvre de diversion, inutile et meurtrière, comme en a tant connu ce conflit. « Les désertions et les mutilations volontaires se multiplient. Il faut faire un exemple » : le colonel Auroux (Bernard-Pierre Donnadieu) décide qu’un homme va être puni de mort. Non pas en raison d’une faute commise, mais parce que le système ne peut tenir que par la crainte de sanctions. Effectivement, ça râle dans les tranchées de Bersot.
Un matin, après 72 heures de combat, le fourrier propose enfin à Bersot un pantalon rouge, mais celui-ci est maculé de sang. Doté d’un caractère entier, le soldat refuse obstinément de le porter. Alors qu’il devrait passer une semaine en prison pour cela, il est amené devant un conseil de guerre spécial pour refus d’obéissance devant l’ennemi. Une procédure expéditive récemment mise en place. Bersot porte enfin ce fichu pantalon rouge quand il est fusillé par de nouveaux arrivants, dotés eux d’uniformes bleu horizon, celui des futurs « poilus ».
Au moment du dénouement, un sentiment de tristesse absolue envahit le spectateur, d’autant qu’on apprend que cette exécution pour l’exemple a immédiatement été occultée. Cyniquement, on pourrait se dire qu’étant donné la gigantesque tuerie qu’a été la Première Guerre mondiale, il n’y a pas de quoi être scandalisé par la mort d’un homme de plus. Ne cédez pas à cette tentation nous dit Boisset à travers son film, lequel nous incite à nous poser des questions de principe fondamentales.
Michel Doussot
Le Pantalon. Téléfilm d’Yves Boisset (1997, 90 min).
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Parution dans le magazine Téléscope.
Les scènes de la maison familiale ont été tourné dans ma commune en Belgique ici : http://goo.gl/maps/3CGtD